Les enrobés bitumineux
réduits à une fabrication à froid

par Emile Muntzer

 

Introduction

Principes

Installation
Fonctionnement
Performances
Biographie / Contact

 

Biographie et contact

Biographie de M. MUNTZER Émile

Sommaire

L'émergence d'une vocation au chantier municipal de voirie "Maxgarten", à Strasbourg
Equipement du chantier Maxgarten
L'émulsion de bitume anionique de formation spontanée
Emulsion spéciale à usages multiples
Stage et essais au Laboratoire Central des Ponts et Chaussées
L'enrobage à froid à émulsion anionique de granulats hydrophobés
Un intermède remarquable : l'enrobage à chaud sans poussière
Un combat inégal

L'émergence d'une vocation au chantier municipal de voirie "Maxgarten", à Strasbourg (^sommaire)

J'ai été engagé par la Ville de Strasbourg en 1931. Une année probatoire était prévue et je commençais ma carrière administrative sous la direction de l'ingénieur principal, M. Braun.

Tout était encore impreigné par le passé allemand antérieur à 1918. Pendant la cinquantaine d'années d'occupation allemande, les services techniques de la Ville de Strasbourg ont pris modèle sur les villes allemandes, comme par exemple Munich, que j'avais l'occasion de visiter pendant la guerre de 39/44, où une politique de régie municipale très poussée concernait tous les travaux des rues, dont la totalité de leur entretien et des travaux bitumineux en entier, également pour les nouvelles constructions. Outre les équipes d'ouvriers que la ville de Strasbourg devait engager pour une régie semblable , il existait au chantier Marxgarten l'équipement moderne nécessaire pour goudronner et revêtir des rues en tarmacadam, dont le Marxgarten était la plaque tournante pour la totalité de la viabilité municipale.

J'ai continué sur la lancée des travaux en cours, sans encore modifier la technique des travaux . D'ailleurs pour beaucoup de choses j'étais encore celui qui devait apprendre à gérer et à se perfectionner, notamment en chimie. En plus j'étais chargé de la construction et de l'entretien des rues intra muros de ce qu'on appelait les nouveaux quartiers de la ville. J'avais donc deux bureaux, le Marxgarten, attenant au laboratoire, et le bureau des services techniques en ville.

Les bureaux en ville étaient compartimentés en service des égouts, services extra et intra muros des rues, service des ponts et quais et un poste de géomètre. Je passais pratiquement la moitié de mon temps de service en ville et sur les chantiers et l'autre moitié au Marxgarten, avec son laboratoire et ses installations de fabrication et de stockage.

Dans mon travail je me focalisais sur la chimie. Puisque je disposais d'un laboratoire, autant en profiter pour devenir chimiste en autodidacte. J'achetais les livres nécessaires et mon bureau s'est ajouté au relatif petit labo déjà existant. J'ai repris la chimie à sa base et j'ai fait, en vue de bien apprendre, beaucoup d'expériences qui n'avaient rien à voir avec le bitume et le goudron.

La ville me payait un professeur en la personne d'un ingénieur chimiste, fils d'un collègue de la voirie.
Parmi les ouvriers permanents affectés au chantier Marxgarten il y avait le forgeron, trois mécaniciens et une dizaine de simples ouvriers qu'on pouvait qualifier de spécialistes du tarmacadam et, plus tard, de la fabrication de l'émulsion de bitume et de l'enrobé bitumineux.

Cinq goudronneuses d'une capacité de cinq tonnes étaient lancées chaque année pendant les mois de l'été sur les routes macadamisées de la ville pour en goudronner environ un tiers des surfaces, à renouveler tous les trois ans.
C'était, il faut le dire, une façon pour la ville, de se débarrasser d'un résidu gênant.

À cet effet j'avais à gérer deux équipes composées respectivement d'un surveillant préposé chacun à un maçon, un paveur et une quinzaine d'ouvriers permanents. Chaque surveillant disposait d'un dépôt en ville pour les équipements et les matériaux d'entretien des rues et places et servant de lieu de rassemblement pour les ouvriers qui y prenaient leur casse-croûte. Chaque jour ces surveillants devaient se présenter à mon bureau en ville pour rapport et organisation du travail.

Ainsi la régie municipale se présentait semblable à ce que j'ai vu à Munich plus tard, au grand dam des entreprises privées qui ne participaient pratiquement que par soumissions à la construction de rues nouvelles et aux grands travaux d' entretien. Mais la régie municipale de Strasbourg restait en dessous de ce que j'ai vu faire à Munich dont la régie empiétait largement également sur les constructions nouvelles.

Il fallait bien structurer mon travail mieux que ce que j'ai et je faisais mes choix. Pour l'entretien et les préparations du labo j'ai choisi un garçon dévoué qui m'a beaucoup aidé. Pour le perfectionnement des outils de travail le forgeron me semblait le mieux doué. Ce dernier s'est révélé être un génie dans sa profession et dans son adaptation aux liants bitumineux. Dans la suite j'aurai à parler beaucoup de lui.


Equipement du
chantier Maxgarten (^sommaire)

Dans l'inventaire de l'équipement du chantier Marxgarten je trouvais les grandes fosses à goudron, compartimentées pour un chauffage économique, chauffées par un système de serpentins dans lequel circulait de la vapeur d'eau produite par une puissante chaudière. L'un des compartiments de la fosse à goudron était toujours sous chauffage que surveillait consciencieusement M. Mozer pour une économie stricte de la production de la vapeur. Un contrat avec le Gaz de Strasbourg assurait l'approvisionnement du goudron dont la masse principale servait au goudronnage des rues. Une moindre proportion servait à fabriquer le tarmacadam pour lequel il fallait ajouter un brai de goudron dur pour obtenir une viscosité supérieure du liant d'enrobage, nécessaire à cet effet. Par la littérature sur les goudrons de houille je prenais connaissance que, manipulé sous de mauvaises conditions, certaines fractions du goudron étaient cancérigènes, notamment certaines grosses molécules contenues dans les brais de goudron durs qu'un ouvrier devait casser à la main avec un marteau. Vérification faite il y avait bien le masque qu'il devait porter, mais la plupart du temps il ne le mettait pas. Il est devenu très âgé et, à ma connaissance, il n'est pas mort du cancer. La meilleure prévention me semblait être de ne plus employer de goudron du tout, mais de le remplacer par le bitume qui commençait à venir sur le marché en grande quantité. J'ai commencé par étudier le bitume en laboratoire et cela devait devenir la passion de ma vie professionnelle.
Mais voyons la suite de l'inventaire du chantier Marxgarten.

Parfaitement adapté à la situation géographique de Strasbourg, il y avait un concasseur pour galets du Rhin qui permettait de les transformer en gravillons pour la fabrication des enrobés. Ainsi les grandes surfaces, pavées avec ces galets, devenus obsolètes et progressivement à remplacer par des revêtements plus modernes comme le pavé en bois, l'asphalte damé ou le tarmacadam, ont passé par ce concasseur qui acheminait le concassé brut vers un tambour sécheur rotatif et ainsi chauffé aux environs de 180°C, dirigés sur des tamis vibrants superposés dans le haut d'une station d'enrobage bitumineux très moderne pour l'époque. Ainsi chauffés et triés en six fractions de tailles différentes, séparément recueillis dans six silos verticaux, les concassés pouvaient être débités dans une voiture-balance sur rails qui circulait sous les silos et pouvait recueillir sous chaque silo le poids calculé pour chaque grosseur, en vue de former le squelette pierreux d' une gâchée d' enrobé bitumineux. Ce contenu de la voiture-balance était avancé et vidé dans une cuve - ascenseur qui déversait son contenu dans un malaxeur, auquel on ajoutait la dose de goudron, et plus tard surtout le bitume. L'enrobé chaud ainsi fabriqué était déversé par renversement du malaxeur sur la voiture stationnée en-dessous. C'était une mécanique qui fonctionnait bien, à part le tambour sécheur. Par la rotation du tambour et les hautes températures, la fine poussière du concassage s'élevait en nuage qui, par la cheminée, polluait tout l'environnement.

Cette poussière polluante devenait une de mes préoccupations majeures dans la suite de mes recherches.


L'émulsion de bitume anionique de formation
spontanée (^sommaire)

Entre temps il y eut une exposition à Paris où les derniers progrès dans le travail des liants bitumineux étaient montrés.

Tandis que moi je voyais s'ouvrir un vaste champ d'activité ayant pour sujet : Les émulsions de bitume.

En effet, au cours de nos nombreux essais de labo, un jour que mon aide Ruch était chargé de faire une série d'essais dans un des nombreux dispositifs que le forgeron Stutzmann avait construit, je constate que pour l'un des essais il avait bien mis la dose de soude caustique requise, mais avait oublié d'ajouter l'oléine qui servait d'émulsifiant pour cette série d'essais. Et l'émulsion qui en résultait était au moins aussi valable, sinon meilleure, que les autres de la série avec l'oléine. Renseignements puisés dans la littérature technique, ce n'était pas du tout une nouvelle invention, car dès que le bitume contient suffisamment d'acides naphténiques qui, comme l'oléine, sont un excellent émulsifiant, il suffit de réunir une eau sodée avec ce bitume acide pour que l'émulsion se forme spontanément. Comme au moment des essais nous utilisions un bitume en provenance du Venezuela, riche en acides naphténiques, le miracle était démystifié.

Mais j'ai pris conscience que l'émulsion de bitume était en soi une forme du bitume beaucoup plus souple dans ses emplois que le bitume chaud, dont les enrobés nécessitent des équipements extrêmement volumineux, coûtant chers en investissements et difficiles à fabriquer sans polluer l'environnement par la poussière et les émanations de vapeurs de surchauffe du bitume.

Immédiatement je me suis mis en rapport avec les raffineries pour savoir ce qu'il faut faire pour avoir des bitumes acides ou suffisamment acidifiés. J'ai appris que toutes les raffineries étaient en mesure de fournir ces bitumes, ce qui faisait qu'après la guerre les raffineries qui s'établissaient autour de Strasbourg avaient des contrats garantissant à la ville de Strasbourg une fourchette d'acidité de leur bitume qui assurait cette formation spontanée de l'émulsion, sans le besoin d'employer d'autres émulsifiants.

Or cette évolution va prendre seulement bien son essor après 1966, année où j'ai déposé mon premier brevet ayant eu un impact mondial. Ce brevet traite de la fabrication d'enrobés à chaud sans production de poussière, issu curieusement des recherches d'un enrobé à froid, capable de remplacer les techniques de l'enrobé à chaud. Je raconterai plus loin comment cette révolution a évolué.


Emulsion spéciale à usages
multiples (^sommaire)

Avant la guerre, avec les moyens de notre usine d'émulsion, nous étions déjà arrivés à produire des émulsions anioniques très évoluées par rapport aux émulsions industrielles, mais qui n'avaient pas, pour les concassés acides, une adhésivité franche et suffisante, comme d'ailleurs les nôtres aussi, à moins de les traiter avec un adhésif à leur incorporer. C'était la surchauffe au laboratoire pour trouver le bon adhésif incorporable. Après de nombreux essais, la lecture d'un livre sur le tannage des cuirs, me mit sur la bonne piste. Je lisais que pour produire un cuir hydrophobe, insensible aux effets de l'eau, il fallait tanner les peaux au sulfate de chrome. Or le sulfate de chrome, introduit dans une émulsion anionique sans précaution, la casse. Il fallait trouver l'intermédiaire qui évite cette destruction. Nous l'avons trouvé par l'emploi de matières protéiques qui sont capables de stabiliser une émulsion anionique d'une manière si efficace que presque tous les produits chimiques peuvent être introduits sans que l'émulsion soit détruite, dont également le sulfate de chrome.

Avec ces émulsions spéciales, comme nous les appelions, tout devenait possible. En les acidifiant avec de l'acide sulfurique par exemple, elles devenaient thixotropes, c'est-à-dire elles se gélifiaient au repos et redevenaient fluides par barattage, en sorte que les enrobés faits avec ces émulsions étaient facilement transportables sans écoulement de l'émulsion et facilement travaillables. Il en résultait de multiples emplois intéressants comme par exemple l'asphalte coulé à froid avec lequel nous avons revêtu beaucoup de trottoirs. En ajoutant, outre le ciment, de l'oxyde de fer rouge, on obtenait des effets colorants bien acceptés par les Strasbourgeois. Lors de la construction de l'usine électrique du port du Rhin, j'étais sollicité par l'Electricité de France pour une fondation à donner à de grosses cuves à fuel qui étaient prévues pour le cas d'une panne en charbon. Comme ces cuves étaient rivetées, l'Electricité de France excluait le béton pur, trop dur, comme fondation et recherchait une fondation ayant encore une certaine plasticité pour permettre un petit enfoncement des têtes de rivets, sans compromettre la solidité de la fondation et sans risquer l'apparition d' un endommagement des cuves. Mes éprouvettes, fabriquées avec cette émulsion spéciale en combinant ciment et bitume ont enlevé la décision. Une entreprise strasbourgeoise, spécialiste en asphalte coulé à chaud, a exécuté ces fondations en cet asphalte à froid fabriqué dans une simple bétonnière. Ce fut un franc succès.

Beaucoup d'arrêts de bus ont été exécutés avec cet asphalte à froid, dont notamment celui du Rond-Point de l'Esplanade qui, après plus de trente ans d'existence, tenait toujours.

Les Ponts et chaussées se proposaient une nouvelle fois de remplacer l'enrobé bitumineux de la route du Col de Saverne qui tenait mal. Ils ont choisi mon émulsion gélifiable et malgré la pluie pendant la pose de l'enrobé, ce fut un revêtement qui tenait plus longtemps que les précédents. Parmi mes licenciés en France j'avais la Société des Carrières de Saint Nabor dont le directeur, M. Scheppler, m'avait contacté pour trouver un champ d'expériences pour un finisseur de sa conception qu'il voulait définitivement mettre au point. Il s'est beaucoup intéressé à mes recherches et venait me voir au Marxgarten et nous avons collaboré. Il s'est décidé de se doter d'une usine d'émulsion et de prendre une licence pour mes émulsions et mes enrobés.Par les hasards de la guerre il avait fait la connaissance d'un Italien, M. Baisi de Modena, professeur d'histoire et de géographie. Il s'était engagé dans l'armée américaine et avait échoué à Strasbourg en attendant sa libération. Il parlait un français très convenable et se proposait d'appliquer mes procédés en Italie. Un courrier suivi s'est développé et il m'informait qu'il avait trouvé à Modena un entrepreneur de travaux publics qui était fortement intéressé. Pour mettre les choses au point j'ai fait plusieurs voyages en Italie. Son démarcheur, M. Marini, a voulu épuiser toutes les possibilités de mes émulsions en trouvant des isolations de maisons et de caves et de petites entreprises qui effectuèrent les travaux. Lorsqu'il a appris qu'avec mes émulsions on pouvait aussi faire des cartons bitumés, il a trouvé à Bergamo une usine qui voulait voir.J'ai plusieurs fois fait le voyage à Bergamo pour des démonstrations de laboratoire. Quand le patron de la cartonifizio a vu que mon émulsion surstabilisée ne salissait pas ses installations, nous sommes passé du laboratoire dans ses usines et du premier coup, pratiquement sans mise au point, ses installations, sans modification ont fonctionné, nous avons signé un contrat qui a fonctionné plusieurs années.

Lorsqu'il s'agissait de repaver l'avenue des Vosges, l'avenue d'Alsace et l'Avenue de la Forêt Noire, avec au préalable l'enlèvement des rails du tramway, j'ai fait une contre-proposition en expliquant que de laisser les rails en place on obtient une fondation encore plus solide que ne l'est déjà un pavé déformé de laisser les rails en place et de recouvrir le tout par deux couches d'enrobé de mon cru.


Stage et
essais au Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (^sommaire)

Pour la clarté de mon texte je dois maintenant un peu plus encore anticiper sur la marche de mes recherches, ce que j'ai déjà fait en partie avant, pour décrire la suite qu'ont eu mes inventions, pour ensuite reprendre un fil plus chronologique. Les brevets basés sur l'emploi du sulfate de chrome comme adhésif dans les techniques bitumineuses - également en combinaison avec les matières protéiques dans les émulsions - me furent accordés. C'était le moment de l'annoncer à M. le Maire. En opportuniste incorrigible je suggérais dans mon rapport qu'il serait judicieux qu'un laboratoire officiel, par l'éxécution des essais classiques en usage, se prononce sur la réalité pratique de cette invention et je proposais dans ce but à M. le Maire pas moins que mon envoi en stage dans le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées de Paris.
Je sentais qu'une demande pareille du maire d'une grande ville pour un sujet brûlant du moment - l'adhésivité du bitume aux granulats acides - ne pouvait guère être refusée par M. DURIEZ, directeur technique de ce laboratoire. Et j'avais raison. Et chaque fois que je faisais un progrès important, le maire renouvelait la demande pour un autre stage, car je n'avais pas oublié de signaler l'intérêt qu'auraient de tels stages pour mon perfectionnement dans les essais des techniques bitumineuses.

Tous les résultats des essais que le labo. des P&Ch adressaient à M. le Maire de Strasbourg étaient 100% positifs, mais je dérangeais à un moment où ce laboratoire était sur le point de lancer leur nouvelle invention, la solution pour une bonne adhésivité par une émulsion cationique, à la place de la mienne qui était anionique. J'avais mis le doigt dans un engrenage à un moment où il ne fallait pas et je me suis fait des ennemis puissants.

Nullement découragé par cette concurrence qui ressemblait beaucoup à l'affrontement du pot de terre avec le pot de fer, je continuais de perfectionner les qualités techniques des émulsions anioniques en procédant à une comparaison des prix et des conditions de production des deux types d'émulsions.


L'enrobage à froid à émulsion
anionique de granulats hydrophobés (^sommaire)

Par la "faute" de mon aide Ruch notre technique de fabrication d'émulsions par l'appareil Atomix était devenu obsolète, lorsque nous constations qu'il suffisait de verser du bitume convenablement acidifié dans une eau alcalinisée pour que spontanément l'émulsion anionique se forme. Ë partir de ce moment il est devenu possible de fabriquer nos émulsions de la manière suivante: Dans un récipient cylindrique mis debout, nous versions l'eau alcalinisée à 0,3% de soude caustique en quantité nécessaire pour faire un volume d'émulsion qui remplirait pratiquement le récipient. Le bitume acidifié, porté à une température avoisinant les 140°C, est versé dans cette eau de manière progressive pour ne pas provoquer trop de mousse et des projections violentes par la brusque vaporisation de l'eau. Ce procédé de fabrication de l'émulsion a pu être extrapolé sur la réception du bitume en gros porteurs de 25 tonnes qui, déchargé dans les réservoirs cylindriques qui abritaient avant ce bitume pur, le stockait sous forme d'émulsion, sans le besoin d'une usine d'émulsion. Il fallait pour cela doubler tout simplement le volume des réservoirs de stockage.

J'insiste sur le fait que dans cette façon de recevoir le bitume et de le stocker sous forme d'émulsion, le bitume contenu dans l'émulsion ne coûte pas plus cher que celui qu'on déchargerait pur pour les postes d'enrobage à chaud classiques. Où maintenant se trouve l'usine d'émulsion ? Je ne dépend donc plus d'une usine d'émulsion géographiquement fixe et j'ai une émulsion dans laquelle le bitume ne coûte pas plus cher que le bitume chaud pur.

Si je vous dis que par une gymnastique avec cette émulsion qui la fait instantanément se transformer de bitume émulsionné dans l'eau, désignée par OW, en eau émulsionnée dans le bitume, désignée par WO, j'arrive enfin à atteindre le but primitif que je m'étais fixé dès le début, à savoir: Obtenir le moyen de produire toutes les formulations d'enrobés bitumineux, sans modifier ni la viscosité ni la qualité du bitume, par un enrobage à froid, applicable à toutes les origines minéralogiques des gravillons employés La seule condition à observer est que ces gravillons soient hydrophobes.

Comme j'avais trouvé un moyen simple et économique d'hydrophober tous gravillons dès leur production en carrière ou en ballastière, je pouvais tirer un trait sur quasi tout le matériel volumineux nécessaire à la production d'enrobés à chaud et réduire la technique de l'enrobage bitumineux en général à :

  1. Une production des mêmes classes de gravillons qu'aujourd'hui, sans causer de baisse de production et puisqu'ils sont devenus hydrophobes, les stocker à ciel ouvert, accessibles aux camions des clients.
  2. Déplacer deux réservoirs compartimentés, placés sur remorques surbaissées pour les rapprocher le plus près possible des chantiers d'enrobage, où il est possible de transformer le bitume chaud acide venant de la raffinerie par gros porteurs de 25 tonnes, en émulsion de formation spontanée, fabriquée alternativement dans les deux cuves de stockage, émulsion obtenue par le simple déchargement du bitume dans des cuves contenant la quantité d'eau alcalinisée nécessaire pour émulsionner 25 tonnes de bitume.
  3. Placer des malaxeurs fixes ou mobiles à proximité pour fabriquer et transporter les enrobés vers les finisseurs.

Il est évident que chaque centre de production de gravillons hydrophobes peut également se doter des moyens de production des émulsions, en sorte que les clients puissent enlever, avec les gravillons hydrophobes, également l'émulsion de bitume. Ce service permanent permettrait à toute entreprise, aussi peu importante soit-elle, de faire ses enrobés elle-même.

Cette anticipation m'a éloigné d'une autre activité du chantier Marxgarten où une révolution d'un autre genre, était en train de s'accomplir. Le brevet de 1966 sur l'enrobé à chaud sans poussière, appliqué aux besoins de la ville de Strasbourg, ayant trouvé son rythme de marche victorieuse, a éveillé l'attention du monde des entreprises intéressées.


Un intermède remarquable : l'enrobage à
chaud sans poussière (^sommaire)

Ma prospection en France auprès d'une soixantaine d'entreprises a confirmé ce qui est avéré pour notre pays : aucune ne voulait prendre le moindre risque de contribuer à développer ce nouveau mode d'enrobage en se dotant d'une licence de fabrication que je leur offrais. Je concluais qu'il fallait que je m'adresse à l'étranger. Il fallait se dépêcher parce qu'après un délai d'un an à partir du dépôt de la demande du brevet français je ne pouvais plus prendre des brevets étrangers et ces pays auraient été libres d'utiliser mon brevet sans contre-partie. Le premier à répondre était la maison Ammann de Suisse, une entreprise qui à la fois construisait des postes d'enrobage et en exploitait, notamment en France. Cette entreprise remplissait donc les deux conditions idéales pour moi: Il me fallait un constructeur de postes d'enrobage et des exploitants.

M. Ammann et son staff technique ont examiné ce que nous faisions au Marxgarten et sont entrés en discussion pour un contrat de licence. Nous sommes tombés d'accord sur un texte de contrat. Il ne restait plus qu'à le signer. Un coup de téléphone venu de Suisse où un certain M. Mathias était en vacances, m'a fait ajourner la signature d'un contrat avec la maison Ammann. M. Mathias m'avait en effet prié d'attendre son retour qu'il voulait détourner par Strasbourg pour voir au Marxgarten, fonctionner ce tambour sécheur, devenu tambour malaxeur, capable de faire des enrobés sans production de poussière.

Avec M. Mathias ça n'a pas traîné. Il voulait traiter pour une licence mondiale et était tout de suite d'accord pour supporter les frais élevés pour l'obtention des brevets étrangers qu'il était encore possible de demander, la priorité de mon brevet français étant encore valable. Rendez-vous fut pris à la Maison Rouge de Strasbourg via le Marxgarten où il comptait amener son état major. Je me suis fait assister par maître Nuss, spécialiste en brevets d'invention. Et j'ai signé le contrat qui a été élaboré et peaufiné par le spécialiste en brevets de la maison WIBAU, M. Paul Munderich. M. Mathias était le propriétaire majoritaire qui pouvait prendre à lui seul les décisions et signer les contrats pour sa maison.

Les plans pour un nouveau tambour malaxeur pour la ville de Strasbourg furent élaborés et les discussions techniques commencèrent. Sans doute, alerté par ses ingénieurs sur un détail qu'ils pensaient devoir corriger, à savoir le renversement du sens dans lequel la flamme du brûleur devait entrer dans le tambour, ils proposèrent que, contrairement à ce que je faisais au Marxgarten, de la diriger, cette flamme, en parallèle avec le sens de l'avancement de l'enrobé dans le tambour malaxeur. Ë la ville je devais l'essayer. Je ne voyais pas de différence préjudiciable, mais je n'étais pas non plus convaincu que c'était une meilleure solution pour l'enrobage chauffant dans le tambour. Mais tous les tambours malaxeurs qui sortaient sous licence de la maison WIBAU étaient de ce type et M. Mathias était fier de son innovation.

En attendant, à Strasbourg les entrepreneurs n'étaient pas contents que ce Muntzer produise un enrobé en régie municipale qu'il prétend être moins cher que celui qu'ils facturaient. Ils contactèrent M. le Maire et je devais me défendre, chiffres en main, lors d'une séance prévue à la mairie devant les entrepreneurs strasbourgeois réunis. Le maire Pflimlin m'a présenté à la meute qui m'attendait, réunie autour d'une table et s'est retiré discrètement, en jouant le parfait personnage neutre. Je devais donc me défendre seul devant des gens de son électorat, mais je défendais également les intérêts de la Ville. Son absence à notre table, en habile tacticien qu'il fut, le faisait apparaître comme étant d'une neutralité bienveillante à mon égard et sans parti pris vis-à-vis de ses électeurs. J'ai bataillé dur et finalement il fut décidé que les entrepreneurs se coaliseraient pour acheter un tambour malaxeur WIBAU qui sera établi dans la ballastière de Hoerdt et on verra.

Parmi ces entrepreneurs il y en avait un, la SATP, qui propose de faire faire des analyses de mes enrobés auprès des raffineries, car d'après une opinion bien répandue, un bitume qui a subi la flamme d'un brûleur, ne pouvais plus être bon. Il a effectivement, à plusieurs reprises, dès que le poste d'enrobage de Hoerdt est devenu opérationnel, envoyé de mes enrobés aux raffineries qui l'ont contredit chaque fois, en jugeant ces enrobés au moins aussi bons que ceux de l'enrobage à chaud classique.

Le jour est venu où le poste d'enrobage de Hoerdt a fêté la sortie de la millionième tonne d'enrobé WIBAU SL , comme l'appelait maintenant la maison Wibau, SL voulant dire en allemand "staublos" = sans poussière.


Un
combat inégal (^sommaire)

Des entreprises françaises imitèrent mon procédé. Elles firent construire un tambour sécheur malaxeur d'un agencement interne miraculeux où le séchage des granulats se faisait soi-disant dans un premier tiers du tambour et où les granulats étaient sensés se condenser pour former un rideau coupe-flamme, situé au tiers de sa longueur, rideau dit opaque à la flamme qui de cette manière devait l'empêcher de toucher le bitume. Il était interdit de visiter cet intérieur. Une propagande de grand style montrait cet intérieur, le tambour en marche. Un vrai combat de nègres dans un tunnel qui ne montrait et ne démontrait rien du tout. Lorsque le constructeur de cet engin offrait cette imitation sur le marché et que la Colas était chargé de poser cet enrobé sur un grand chantier de l'intérieur, M. Mathias et moi décidions d'intervenir. Nous avons demandé l'autorisation de visiter ce chantier et avec un ingénieur de la WIBAU j'ai fait le voyage en auto. Nous constations la fraude et engagions le procès.

Entre temps M. Mathias, avait invité une délégation américaine à visiter le poste d'enrobage WIBAU SL de Hoerdt. Un entrepreneur du nom de Switcher s'est amené avec ses ingénieurs et un professeur de technologie et je crois même une secrétaire. M. Mathias a mis tout ce monde dans un petit bus, y compris un de ses deux fils et M. Munderich.Nous voilà à Hoerdt et, à la suite, autour d'une table dans le labo du Marxgarten. Les Américains, friands de procédés simples et efficaces, montrèrent un grand intérêt et il fut convenu, par shake-hands collectifs, que nous allions travailler ensemble. Les choses se présentèrent donc sous les meilleures auspices.

M. Mathias se chargeait personnellement des pourparlers pour une licence avec ces Américains et par plusieurs vols de Frankfort aux USA, un texte de contrat avait été élaboré pour une signature prochaine. Or le retour du dernier voyage fut fatal à M. Mathias qui souffrait du coeur, et dans la nuit, après être rentré chez lui, il est décédé.

Vous pensez bien que les conséquences pour nous - et pas seulement pour nous - furent catastrophiques.

La Wibau en sortait exsangue et devait déposer le bilan. Quant au procès en contre-façon engagé en France, on me signifiait que je serais seul à le poursuivre si je voulais en dénonçant mon contrat avec la WIBAU. Pour notre contre-facteur un triomphe car tout compte fait, j'ai préféré renoncer à la poursuite du procès et je n'avais pas les éléments ni les moyens pour continuer de traiter avec les Américains. Trois ans après plus de 90% des postes d'enrobage à chaud des USA fonctionnaient en contrefaçon avec mon procédé. Les Italiens ne se sont pas fait prier et vendaient des postes d'enrobage de mon invention. Une contrefaçon, disait mon contre-facteur français, de leur système d'enrobage.

Mes deux contre-facteurs entrèrent en procès et l'Italien prenait notre avocat, maître Combeau, que nous avions choisi pour notre défense en France. Cet avocat, en possession de mon dossier de défense que j'avais préparé pour lui, a gagné facilement le procès, avec comme conséquence que mon contre-facteur français a dû se plier aux exigences du gagnant italien qui lui faisait comprendre qu'avec mes éléments de défense, il lui serait facile de faire annuler leur brevet. Et il l'obligeait de s'associer avec lui, à ses conditions. Voilà deux hyènes qui se déchiraient pour une proie qu'elles avaient volée tous les deux.

C'était la preuve que si j'avais continué le procès engagé en France, je l'aurais gagné avec quasi certitude. Ce qui m'a fait prendre conscience de la faiblesse de l'inventeur isolé qui n'ose pas risquer son existence, là où une grosse entreprise peut inscrire en ses frais généraux un procès perdu. D'un autre côté, comme fonctionnaire municipal, je n'avais pas les mains suffisamment libres pour agir.

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Mise à jour du 8 août 2004