Les
enrobés bitumineux
réduits
à une fabrication à froid
par Emile Muntzer
Les métamorphoses du bitume (sommaire)
1. Familiarisation avec les goudrons et les bitumes
Deux ans après ma prise de fonction à la Ville de Strasbourg en 1931, j'ai été placé à la tête de la régie municipale des travaux bitumineux pour tout le territoire de la ville (lien vers la biographie).
L'activité de cette régie consistait seulement à entretenir les routes macadamisées grâce à des enduits trisannuels de goudron et à construire des sous-couches en tarmacadam pour certaines nouvelles rues de la ville.Pour ce faire, la ville était dotée d'un matériel des plus sophistiqués pour l'époque qui se composait d'un poste de concassage des silex du Rhin et d'un poste d'enrobage de tarmacadam comportant un tambour sécheur, des tamis de fractionnement des concassés, des silos contenant ces fractions, un wagonnet de pesage, un malaxeur et des fosses à goudron chauffées.
Les concassés étaient acheminés vers le tambour sécheur qui les chauffait à haute température en les acheminant sur des tamis superposés au sommet du poste d'enrobage. Les tamisages alimentaient 6 silos, par gravité. Ces fractions étaient alors mélangées selon une formule dans un wagonnet de pesage qui acheminait ces concassés vers le malaxeur. Le goudron était dosé à chaud pour ces gâchées que le malaxeur éjectait sur des camions.
Très vite, je constatais que toutes les potentialités de ce matériel n'étaient pas exploitées à leur juste valeur. J'entrepris alors des recherches en vue d'en trouver une meilleure exploitation. C'est ainsi que je me suis tourné progressivement vers l'étude du bitume qui est devenue une des grandes passions de ma vie et très vite je vis des solutions pour simplifier l'enrobage à chaud et l'emploi à froid de l'émulsion de bitume.
Une exposition de matériels de travaux publics à Paris a présenté une petite usine d'émulsion dont mon supérieur a fait l'acquisition pensant qu'elle pourrait être utile à mon activité. J'ai été très étonné de la simplicité avec laquelle on pouvait faire de l'émulsion de bitume. En effet, cette usine d'émulsion se composait simplement d'un récipient cylindrique posé horizontalement et ayant un axe à ailettes que l'on actionnait grâce à une manivelle.
L'eau alcalinisée pour l'émulsion était introduite d'abord et chauffée à une température avoisinant 60°C. Dans cette eau, on ajoutait progressivement le bitume chaud acidifié par un acide naphténique en évitant de dépasser les 100°C. Ainsi été formée l'émulsion par le lent mouvement de la manivelle.Très rapidement, j'ai constaté que ce procédé pouvait être simplifié en versant tout simplement le bitume chaud acidifié dans cette eau tiède alcalinisée. Ainsi l'émulsion se formait spontanément sans besoin d'une manivelle. Constaté une première fois au laboratoire je croyais avoir fait une grande invention mais dans la littérature technique des brevets ce procédé était déjà dans le domaine public. La recherche d'une émulsion, la plus facile à réaliser et la moins chère à produire, occupait complètement notre laboratoire. Finalement, j'ai travaillé avec un bitume non acidifié par les raffineries mais par la régie municipale par l'emploi d'un acide oléique.
A Strasbourg, il y avait une usine d'émulsion de bitume. Son directeur venait souvent dans mon laboratoire et n'était pas content que la régie municipale fasse des émulsions de bitume. Je lui ai montré comment je faisais mes émulsions et il s'est équipé de manière plus industrielle afin de fabriquer les émulsions de formation spontanée dans un cylindre vertical de 20 tonnes en utilisant des résines à la place de l'acide oléique. Ce récipient cylindrique était muni d'un axe vertical avec au fond une hélice. Cette émulsion facilitait beaucoup l'enrobage bitumineux. Mais les enrobages très filléreux demandaient une émulsion plus stable. Un haut degré d'alcalinité ne suffisait pas toujours pour éviter une destruction de cette émulsion au cours de l'enrobage et l'adhésivité était bonne pour les calcaires mais mauvaise pour les siliceux. La vraie recherche commença alors.
2. Une émulsion nouvelle adhésive et stable
Il fallait donc améliorer la stabilité et l'adhésivité de l'émulsion. Le hasard a voulu que je visite les Tanneries de France où je vis faire des cuirs insensibles à l'influence destructrice de l'eau grâce à l'utilisation de sels de chrome. J'ai donc décidé d'utiliser des sels de chrome pour essayer de corriger l'adhésivité. Cependant introduire des sels de chrome dans une émulsion anionique la condamne immédiatement par une séparation du bitume et de l'eau. Il fallait trouver le médium qui permettait d'introduire les sels de chrome dans l'émulsion anionique. Ce médium, je le trouvais par les matières protéiques hydrolisées.
La matière la moins coûteuse pour fabriquer des protéiques hydrolisés était les matières cornées comme par exemple les sabots des chevaux et les plumes des oiseaux. Je me suis mis en rapport avec les usines d'équarrissage et des abattoirs de poulets. J'ai attaqué par la soude caustique ces matières cornées qui a donné un liquide de matière protéique hydrolisée et qui pouvait s'introduire dans les émulsions anioniques sans les détruire.
Au contraire, les émulsions anioniques supportaient les sels de chrome et presque tous les produits chimiques connus sans détruire l'émulsion et les enrobés faits avec ces émulsions étaient 100% adhésifs avec les essais Riedel et Weber les plus sévères. Même les acides forts sulfuriques et chlorhydriques pouvaient être introduits sans casser l'émulsion.
J'avais inventé un nouveau type d'émulsion : l'émulsion spéciale qui pouvait exister à tous les pH de 1 à 14. Je pouvais faire des enrobés très filléreux en choisissant pour filler les chaux et les ciments. De cette manière j'obtenais un asphalte coulé à froid qui avait une rupture. J'ai fait faire dans le privé des sols industriels avec cet asphalte dont ressort en importance la construction de fondations pour l'usine d'électricité en construction à cette époque dans le port du Rhin (autres photographies de cette usine en 2004).
L'Electricité de France a en effet recherché une solide fondation qui avait encore une certaine plasticité pour ses énormes cuves de mazout réservées pour les éventuelles pannes de charbon. Une entreprise chargée de ce travail a très bien réussi ces fondations qui avaient encore cette plasticité contrairement aux fondations de béton. C'est ce que recherchait l'EDF.
© http://www.lipsheim.orgUn immense champ de recherche s'est ouvert et je pouvais donner à cette émulsion thixotrope une structure qui, par agitation, devenait liquide et redevenait gélatineuse au repos. Le grand avantage de ce procédé était le transport au loin de son enrobé.
Les Ponts et Chaussées pour assurer la qualité du revêtement routier du Col de Saverne ont acheté cette émulsion dans une entreprise que j'ai créé à Lingolsheim et, sous une pluie fine, cet enrobé a été déposé au Col de Saverne avec pour la première fois une tenue impeccable du revêtement.
Arrivait l'époque où le service de navigation français a décidé de supprimer quelques écluses situées dans une vallée près d'Artzwiller, en modifiant le tracé du canal de la Marne au Rhin, en flanc de montagne, et en réalisant un plan incliné. Au début de ce tracé, on formait un plan d'eau au niveau de l'arrivée du canal de Strasbourg.
© http://www.peniche.comLes péniches, à l'arrivée dans ce plan d'eau, entraient dans une espèce d'écluse mobile tirée à flanc de montagne par des treuils en se posant à la tête du nouveau secteur de ce canal. On ouvrait cette écluse mobile et la péniche était à hauteur suffisante pour s'acheminer sans écluse vers sa destination.
Le service de navigation a décidé de revêtir les berges de ce canal d'un enrobé bitumineux. Cet enrobé devait avoir la qualité de résister à la présence permanente de l'eau ce qui le différenciait des enrobés routiers mouillés uniquement en cas d'intempéries. L'ingénieur responsable de ce chantier a sans doute fait le même raisonnement que je fais aujourd'hui. Pour la route, on savait pertinemment que l'enrobé à chaud n'avait pas une adhésivité suffisante pour résister à une présence d'eau permanente.
En effet, l'essai d'immersion/compression était utilisé pour contrôler l'adhésivité de l'enrobage à chaud de la manière suivante :
La formule d'enrobé pour la route arrêtée était testée par l'essai Duriez (destruction sous une presse spéciale de dix cylindres d'enrobés dont cinq avaient séjourné pendant sept jours dans l'eau et cinq autres avaient été laissés à l'air libre). Passés les huit jours, on écrasait les dix éprouvettes et on faisait la moyenne de leur force d'écrasement. On constate toujours que les éprouvettes immergées pendant sept jours avaient une résistance à l'écrasement inférieure à celles laissées à l'air libre. On faisait le rapport entre ces deux forces qui en général se situait autour de 0,7. Cette valeur était encore admissible dans les soumissions que les entrepreneurs effectuaient pour les routes.
Pour les enrobés du canal d'Artzwiller, ces résultats étaient considérés comme insuffisants pour garantir une tenue de l'enrobé dans le temps. En effet, la raison nous dit que si l'on avait prolongé la durée d'immersion des trois éprouvettes, la dégradation aurait continué. C'est alors que l'on s'est rappelé que j'avais fait des démonstrations dans le laboratoire des Ponts et Chaussées de Strasbourg et de Paris concernant une adhésivité du bitume sur les concassés qui, pour les éprouvettes immergées, n'était pas altérée par l'influence de l'eau et le coefficient des six éprouvettes restait égal à 1. On m'a contacté et j'ai garanti le fait s'ils achetaient mes produits de Lingolsheim.
L'entrepreneur est donc venu à Artzwiller avec son poste d'enrobage à chaud et la fabrication de l'enrobé a commencé sous le contrôle constant et journalier du laboratoire des Ponts et Chaussées de Strasbourg.
L'entrepreneur devait ajouter le produit de Lingolsheim avant l'entrée des concassés dans le tambour sécheur et plusieurs fois par jour les six éprouvettes avec l'enrobé produit étaient soumises au test d'immersion/compression de Duriez. On avait toujours un coefficient d'immersion/compression égal à 1 et aucun incident concernant l'enrobé bitumineux ne s'est produit à notre connaissance. A ce moment, j'ai suggéré au laboratoire des Ponts et Chaussées de conserver une série d'éprouvettes immergées au chantier pendant huit jours pour les poser en observation dans l'eau pendant des mois et des années. Alors un phénomène surprenant et exceptionnel s'est produit : plus la durée du séjour dans l'eau était grande (env. une année), plus le coefficient immersion/compression augmentait au lieu de diminuer comme logiquement les Ponts et Chaussées le pensaient. Ce coefficient a dépassé la valeur de 1,1.
4. Procédé d'enrobage à froid (selon brevet européen publié le 26 mars 2003 sous le n° 1294809)
Voyant l'effet des sels de chrome, j'ai fabriqué pour la ville des tas de concassés que j'appelais concassés activés qui étaient en vérité des concassés déjà hydrophobés. J'ai posé beaucoup de tapis d'enrobé avec ces concassés avec un succès constant.
J'avais deux critiques à affronter :
a) Les émulsions surstabilisées à protéger avec les matières protéiques avaient pour défaut de produire une odeur désagréable par le pourrissement des matières protéiques
b) L'emploi de sel de chrome pour les concassés activés en hydrophobie. En effet il existe deux sortes de sels de chrome = les sels de chrome trivalents et les sels de chrome hexavalents nocifs pour l'environnement. Pour mes procédés, seuls les premiers, complètement inoffensifs, ont été employés. Cependant, rien que de citer le nom de chrome, suffisait pour éveiller la suspicion et freiner l'application de mes procédés.En continuant mes recherches, j'ai constaté que les sels ferreux donnaient des résultats équivalents aux sels de chrome, d'où a pu naître le procédé de l'enrobage 100% adhésif à froid dont la description va suivre :
En créant une émulsion anionique surstabilisée par le triphosphate de soude par exemple, j'ai pu obtenir l'inversion de cette émulsion par son simple contact avec les matériaux hydrophobés sans que cette émulsion ait la rupture classique en perdant son eau. J'avais donc collé adhésivement un bitume en émulsion sur des concassés hydrophobés. Le fait que cette émulsion continuait à avoir une existence donnait à l'enrobé qui en résultait l'ouvrabilité nécessaire pour le travail d'un enrobé à froid. Cet enrobé était prêt pour la pose et sa rupture est obtenue principalement par un cylindrage vibrant. On avait ainsi à disposition tout le temps nécessaire pour transporter cet enrobé à froid au loin et pour le poser avec les engins de pose qui servaient pour l'enrobage à chaud.
L'entrepreneur de travaux publics et les intéressés par l'enrobage bitumineux ont maintenant tous les éléments pour comparer ce type d'enrobage à froid au système d'enrobage existant. En demandant les devis de construction de poste d'enrobage aux entreprises compétentes, les intéressés constateront une différence considérable de prix et de qualité entre le système d'enrobage existant et celui que je présente.
Alors que la recherche mondiale actuelle s'acharne sur la correction de leur système d'enrobage en agissant sur les formes de bitume, j'ai conservé la forme la plus simple du bitume en modifiant l'état physique des concassés d'enrobage. Cette façon de procéder améliore simultanément la qualité de l'enrobé en permettant de réduire sa fabrication à un simple mélange à froid de concassés hydrophobés et d'émulsion anionique.
De plus, tous les désagréments provoqués par les systèmes d'enrobage existants disparaissent :
- plus de poussière,
- plus de chauffage,
- plus d'excès de vapeur et d'odeur dérangeante,
- simplicité d'entretien du poste d'enrobage.
Cet enrobé à froid peut s'appliquer à la fois pour la route, pour les isolations, pour les mortiers de maçonnerie, etc. En séparant la fabrication des concassés hydrohobes de l'opération d'enrobage proprement dite l'entrepreneur obtiendra la plus grande simplicité du système sans nuire à son efficacité.
Des essais de laboratoires effectués par ou pour les intéressés permettront de confirmer les affirmations de ce texte.
L'expérience des inventeurs sera disponible à cet effet.
Sommaire des métamorphoses du bitume
1. Familiarisation avec les goudrons et les bitumes
2. Une émulsion nouvelle adhésive et stable
3. Hydrophobation à chaud
4. Procédé d'enrobage à froidMise à jour du 8 août 2004